Le Bleu de Paestum ou les trois conteuses.

Les femmes ne regardent jamais la mer de façon indifférente.
Mères, mères ou amantes, dans leur ventre, leur cœur, leurs veines, coule de cette eau primordiale qui emporte les bateaux de voyages et ramène les légendes.
De cette eau de vie pétillante du sel de leurs larmes, les trois conteuses connaissent tous les secrets car elles savent d’instinct les mystères d’avant naissance murmurant dans les fonds abyssaux.

Elles guettent.

Le travail de guetteur est chose sérieuse et grave. Pour nous, Christine, Anne et Kristin
enfilent leurs noires pèlerines et arpentent de leurs pieds fidèles, têtus et inlassables la grève de la vie. Elles parcourent les rivages de Méditerranée, portent à leurs oreilles les coquillages qui résonnent encore du chant des sirènes, celles d’Ulysse et leurs sœurs d’aujourd’hui. Bras ouverts, mains tendues vers le large, elles laissent les vents torsader leurs cheveux et telles des pythies de prophétie, pour notre enseignement émerveillé, elles confient à leurs toiles, à leurs estampes l’écho des sauvages opacités, l’aquarelle des transparences marines.
De leurs doigts de couleur, de leurs chevauchées d’encre, elles tracent et incisent, pour calmer ce qui reste en nous de l’angoisse des enfants, des récits merveilleux et semblent nous bercer.
« Tu peux dormir tranquille, je suis là. Pour toi, je cueillerai l’œil de lumière au creux de la vague et le mettrai dans les plus profonds bleus pour t’ouvrir l’horizon. Pour toi, je laisserai que le feu enflamme mon giron pour t’enfanter les plaisirs, les carrousels des rêves.

Elles veillent.

Et osent les signes qui chantent la caresse de la mer, va et vient immémorial gravide de toutes les mémoires des Hommes. De tous les espoirs, de toutes les folies.
La mer recèle les plus vieilles histoires du monde et les jours d’embrun, elle jaillit en dentelle et offre des gerbes d’éclats. Les veilleuses les recueillent et tressent des tourbillons d’écume qu’elles jettent vers le ciel.
Ou bien, inondées d’immobile, elles noient dans la teinte absolue un pan des grands commencements.

Nos enchanteresses vont au-delà de la lumière pour nous livrer les belles ensorceleuses au corps de fraîcheur qui portent leur cœur comme on porte le plus gros diamant du monde.
Elles guettent, veillent et griffonnent pour nos esprits enrêvés les pages de cahier des marcheurs universels, celui de Jack London ou celui d’Hermann Hesse.
Elles peignent des marbres bleus à l’allure de médaille romaine.
Elles gravent ces jeunes filles provocatrices, impertinentes à force de beauté innocente et déjà tellement Femme quand elles semblent inviter « Allez viens ».
Elles s’embarquent.

Laissez-vous embarquer avec elles pour faire ces magnifiques « Ricochets » sur la mythique mer Méditerranée.

Dominique Thireau

Le travail à l’encre polychrome est réalisé dans le même esprit que les peintures grand format, c’est le geste qui diffère, à la fois minutieux et libre, il reste un geste spontané qui laisse la trace des émotions et des états d’âmes nés dans l’acte de peindre.

Le pinceau exprime sa danse sur le papier en une sorte « d’écriture automatique » qui n’a pas pour projet de représenter telle ou telle chose à priori, c’est un travail qui relève de l’abstraction et pourtant la figuration peut s’y introduire discrètement.

Dans la spontanéité du geste, il se peut que des formes, paysages ou autres émergent et prennent sens.

L’encre est un médium qui a sa vie propre, soudain animée par une diffusion aléatoire lorsqu’elle rentre en contact avec l’eau et le papier. Tout le défi est de la dompter, de lui donner une structure tout en accueillant une part de hasard; en toute humilité je peux dire avec Antoni Clavé : « je me sers du hasard et le hasard se sert de moi ». Parfois le travail de l’encre se fait plus sobre réduit au noir (encre de chine) et blanc sur papier japon (héritage de la tradition asiatique) il faut alors jouer avec la lumière du papier, développer le dialogue blanc-noir dans toute sa sobriété, c’est l’occasion d’explorer toutes les nuances du lavis afin d’aboutir à une composition sensible et équilibrée.

Mon ambition est de conduire le spectateur à se laisser porter par ce qu’il voit, peut-être à méditer à rêver, une tentative pour relier les êtres au monde.

La toile au sol, le corps en mouvement, les gestes amples, je jette la peinture sur la surface de la toile (qui bien souvent n’est plus vierge, déjà marquée d’autres histoires), j’étale au racloir, au chiffon, je ne pense pas l’oeuvre avant de la faire, je la pense en la faisant jusqu’à ce que une image émerge dans mon cerveau et se projette sur la toile comme sur un écran.

Alternance des couches de peintures et des couches d’imaginaire. Ainsi par transparence on peut deviner l’en-dessous, l’empilement des idées sur la toile, une troisième dimension.

Le résultat est quelquefois très sobre lorsque l’idée est venue vite et quelquefois complexe, dense lorsque les rêves s’enchevêtrent. Je joue avec les textures de la peinture avec la fluidité, ça coule, ça s’étale, ou avec la pâte opaque en épaisseur qui accroche, se ride prend du relief et garde la trace du geste.

Un espace se crée de façon aléatoire au départ puis peu à peu je le modèle, je le construis, lui donne de la profondeur, de la lumière et de l’ombre. Les couleurs (le plus souvent des bleus, des noirs, des blancs) semblent parfois proches ou lointaines, jouant avec les différents plans de la perspective atmosphérique.

J’essaye que la peinture vive laissant la place à l’instinct du geste, à quelque chose qui déborde de moi et qui me dépasse puis je reviens à la réalité pour construire l’espace, c’est cet aller-retour entre l’imaginaire et la réalité qui permet de donner du sens au tableau.

A la fin quelque chose est dit et chacun peut y trouver sa résonance.